JULES
Pourquoi ce choix de nom, Las Aves?
Nous aimions le fait que le nom n'aiguille vers aucun style de musique en particulier. Nous voulions quelque chose d'étrange, qui soit un peu hors du temps...
Comment avez-vous l'idée de cette renaissance inattendue ? Y pensiez-vous depuis longtemps?
En fait, l'évolution musicale n'était à aucun moment préméditée, ou même consciente. C'était la finalité d'un très long processus, tant humain, psychologique que musical. Le rock était notre moyen d'expression depuis notre adolescence. Nous faisions du skate, et nous nous exprimions avec ce que nous avions sous la main: deux guitares, une basse, une batterie et de la sueur. Mais même durant cette époque, nous étions autant influencé par The Clash que Portishead, autant par Siouxie and The Banshees que M.I.A. Mais ces influences se retrouvaient diluées dans une énergie punk et une écriture définitivement rock. A l'époque de The Dodoz, nous enregistrions nos albums en live sur bandes analogiques, tous ensemble dans une même pièce, le plus souvent en une prise. C'est quelque chose qui nous tenait à coeur, qui était cohérent avec notre façon d'envisager la musique.
Mais nous étions très jeunes, nous avions tout appris par le rock et les guitares. Je pense que nous n'aurions même pas su allumer un synthé, ou sortir un seul son d'une boîte à rythmes. En grandissant, nous nous sommes beaucoup plus intéressés à la production. Nous voulions comprendre comment ces morceaux trip-hop ou hip-hop s'étaient construis, d'où venaient ces sons.
Après une tournée géniale mais éreintante en Europe de l'Est avec The Dodoz, nous sommes tous rentrés à Toulouse, épuisés. Nous avons senti le besoin de faire une pause, de prendre du recul sur la musique. Nous sentions une certaine routine pointer le bout de son nez, et c'est exactement ce que nous avons toujours essayé d'éviter. Certains d'entre nous se sont réfugiés dans la boxe, d'autres la mécanique. Vincent et moi étions DJ résidents dans un club à Toulouse, où il fallait faire danser les gens tous les soirs. On a découvert la trap, la Bass Music. Ca nous a ouvert à tout un pan de la musique que nous avions un peu ignoré.
Puis nous sommes tous revenus dans un petit home studio, petit à petit. Pour jouer ensemble, expérimenter un maximum. Il n'était en aucun cas question d'un album, nous voulionsjuste faire de la musique, se laisser surprendre. La configuration du lieu était telle qu'on ne pouvait pas enregistrer à 4 en live, ce qui pour nous était absolument nouveau. C'était un peu comme se retrouver au volant d'un poids-lourd sur la file de gauche en Angleterre, avec des ronds point partout (rires). Nous avons tout appris sur le tas, comment enregistrer nous même, comment transformer des sons dans un ordinateur… Nous nous sommes alors retrouvés dans un amateurisme total, à jouer d'instruments qu'on avait jamais touché auparavant. Les accidents se multipliaient, et chaque erreur nous ouvrait d'autres possibilités, chaque limite nous donnait des idées. Comme des enfants dans un cockpit d'avion, c'était hyper grisant. Petit à petit, un nouveau son apparaissait. Plus hybride, moins codé. C'était très excitant de ne pas savoir du tout où on allait, quelle serait la finalité de tout ça. C'était comme une seconde adolescence, nous avons vu notre corps changer et nous étions à la fois exaltés et paniqués (rires).
Pourriez-vous nous expliquer vos choix esthétiques, l'importance du visuel dans votre musique?
Le visuel où plutôt l'image existe qu'on le veuille ou non depuis presque toujours, dans le sens ou même les bluesmen des années 30 avaient déjà une image. A partir du moment où la musique est incarnée, l'image rentre en jeu. Mais c'est vrai que nous sommes arrivés à un point aujourd'hui où les groupes travaillent d'abord l'image, ensuite la musique. C'est devenu commun et même nécessaire, alors que l'essence du truc reste et doit rester la musique. Nous avons un peu ce fantasme d'une ère où les visuels n'existeraient pas, et seule la musique parlerait pour elle même. Je pense que chaque artiste et son public seraient radicalement différents de ce qu'ils sont aujourd'hui, ce serait assez intéressant de voir ce que ça donnerait.
Mais d'un autre côté, cette abondance de visuels est hyper enrichissante pour les artistes, si la démarche reste personnelle et passionnée. Pour Las Aves, la musique est la priorité, mais nous aimons énormément développer l'aspect visuel. Nous avons des images assez précises qui nous viennent en tête pour illustrer les morceaux, et on attache beaucoup d'importance à travailler avec des gens que nous admirons. Pour les clips par exemple, nous travaillons quasiment exclusivement avec le réalisateur anglais Daniel Brereton. C'est quelqu'un qui vit vraiment pour son art, qui a des idées un peu différentes, et une énorme sensibilité.
Comment s'est déroulée la collaboration avec Dan Levy ?
Notre première rencontre, c'était à l'occasion d'un festival dans le sud de la France... autour de 2009, il me semble. Nous nous étions juste croisés, mais nous nous étions dit : "ce mec est un connard", et nous avons su après que lui avait pensé : "c'est des petits cons" (rires). Puis beaucoup de temps est passé, et nous lui avons envoyé 4 titres par mail en 2013. Il m'a appelé le lendemain pour me dire qu'il adorait. En 10 minutes au téléphone, il avait tout compris à ce qu'on essayait de faire. Il voyait même déjà comment nous amener plus loin... Nous enregistrions les morceaux façon DIY chez Nem (la chanteuse) ici à Paris, puis nous ramenions tout ça en Normandie chez Dan et c'était bouclé en 1 ou 2 jours... avec quelques débats enflammés au milieu!
Texte: Sophie Rosemont Photo: Philippe Mazzoni
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